Barbe d’Ottenheim, maîtresse tyrannique, sorcière ou bouc émissaire ?

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Nicolas de Leyde, Tête de Sibylle, dite tête de Barbe d’Ottenheim, 1463. Francfort, Liebieghaus.

L’Histoire de la seigneurie de Lichtenberg a été marquée par une personnalité tout à fait singulière, celle d’une femme au destin hors du commun, Barbe d’Ottenheim (1430-1484). Fille de paysan ou de boulanger selon les sources, elle est originaire de la localité d’Ottenheim en Pays de Bade, dont elle tire son appellation.

Une fille du peuple devenue despote…

Les annales nous dressent de Barbe d’Ottenheim un portrait assez peu flatteur… à l’exception de son physique ! En effet, dotée d’une exceptionnelle beauté, la jeune Barbe sut séduire le bailli de la ville de Strasbourg, Jacques de Lichtenberg (1416-1480) dit Jacques le Barbu. Die Schöne Bärbel (la belle Barbe), comme on l’appelait alors, n’en était pas moins dotée d’un fort caractère, qui a su marquer les esprits. On la décrit comme une fille de mauvaise vie, méchante et hautaine, de nature violente. Elle aurait pris l’ascendant sur son noble amant, et se serait emparée du pouvoir à Bouxwiller, où résidait le couple.

L’emprise de la jeune femme sur les sujets du comte Jacques les poussèrent à la révolte. En effet, on raconte qu’elle faisait enfermer hommes, femmes et enfants, sans le moindre prétexte. Elle instituait arbitrairement de nouvelles journées de corvées. Ainsi, en 1462, les hommes de Bouxwiller excédés prirent les armes pour rejoindre Lichtenberg afin d’exprimer leurs doléances auprès du frère de Jacques, Louis de Lichtenberg (1417-1471). Ce-dernier, promit de leur porter assistance.

La réaction de la « Boese Wib » (Böse Weib ou méchante femme) ne se fit pas attendre ! Elle ordonna que l’on chasse de Bouxwiller toutes les femmes et enfants des insurgés. Toutefois, les épouses, armées de tout ce qui leur tombait sous la main, tinrent tête aux émissaires de la belle Barbe, qui dut se résoudre à se réfugier en son château.

Le comte Louis ne tarda pas à prendre possession de la ville de Bouxwiller et força son frère à signer des conditions de paix, comprenant notamment la condition du bannissement de Barbe à Spire ou Haguenau ! Sous la contrainte le comte Jacques se résolut à l’exil de sa bien aimée…

A la mort de Louis en 1471, Jacques rétablit ses liens avec Barbe. Toutefois, la mort du comte en 1480 scella le destin de la Bärbel. Sans l’appui de son amant, elle dut se préparer à payer le prix de son arrogance. Accusée de sorcellerie, elle fut condamnée à mort. Cependant, avant que la sentence n’eut été exécutée, on retrouva la belle Barbe, un matin de l’année 1484, pendue dans sa cellule de la prison de Haguenau.

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Château de Lichtenberg

Jeune femme tyrannique ou bouc émissaire de la politique désastreuse d’un comte vieillissant ?

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Nicolas de Leyde, Tête de Prophète, dite Tête de Jacques de Lichtenberg, 1463. Strasbourg Musée de l’Œuvre Notre Dame.

Le couple formé par Jacques de Lichtenberg et Barbe d’Ottenheim fut certainement vu d’un très mauvais œil par l’ensemble de la société. Qu’un comte de Lichtenberg se soit acoquiné avec une fille du peuple n’est pas un problème en soi. Mais, il lui a offert une place presque officielle dans son existence ! Cette situation scandaleuse était inacceptable pour la noblesse, qui à l’exemple du comte Louis de Lichtenberg, n’hésita pas à se saisir de la première occasion pour y mettre un terme. Elle était pourtant tout aussi intolérable pour le peuple, peu enclin à se laisser gouverner par une fille de basse extraction, n’ayant aucune légitimité.

Il paraît donc logique que toutes les décisions hasardeuses prises par le comte Jacques, furent imputées à sa maîtresse. Elle était le bouc émissaire idéal : par son truchement, il devint aisé de critiquer ouvertement la politique d’un seigneur, sans pour autant remettre en cause le bien-fondé du pouvoir seigneurial.

En effet, aussi despotique qu’ait pu être la belle Barbe, on ne saurait imputer à elle seule toutes les doléances des sujets du comte Jacques. L’affolement des habitants de Bouxwiller traduisait avant tout une mauvaise politique et une faiblesse certaine de Jacques de Lichtenberg !

De même, la condamnation pour sorcellerie de la jeune femme, fut en somme un moyen d’exorciser définitivement la haine que l’on a pu avoir à son égard.

Barbe d’Ottenheim et la légende de l’invention du Bretzel !

La figure de la Belle Barbe est du reste liée à l’un des symboles de l’Alsace : le Bretzel. D’après la légende qui circule encore en Pays de Hanau, le caractère capricieux de la jeune femme aurait été à l’origine de la création de cette spécialité boulangère.

On raconte en effet qu’un boulanger fut surpris à calomnier la maîtresse adorée de Jacques le Barbu… Jeté en prison, Barbe promit au malheureux la liberté, à condition qu’il lui présente une spécialité, au travers de laquelle on pourrait avoir une triple vision du soleil.

Désespéré par cette demande absurde, le boulanger se mit à réfléchir en vain…C’est alors qu’un ami lui rendant visite en sa cellule se mit à réfléchir lui-aussi à cet insoluble problème. Après une longue réflexion, il se saisit d’une barre de fer, et en la tordant, obtint la forme du Bretzel qui valut le salut du boulanger !

Barbe d’Ottenheim et Jacques de Lichtenberg : un couple immortalisé par Nicolas de Leyde ?

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Nicolas de Leyde, Buste d’homme accoudé, autoportrait présumé de l’artiste, 1463? Strasbourg, Musée de l’Œuvre Notre-Dame.

La chancellerie de Strasbourg présentait à la fin du Moyen Age un portail réalisé par le sculpteur le plus innovant du monde germanique au XVe siècle : Nicolas de Leyde (vers 1430-1473).

Ce-dernier avait orné le portail de deux bustes accoudés à une fenêtre factice, se faisant face. A partir du XVIe siècle, la tradition populaire a vu dans ces deux représentations, les effigies du couple qui faisait scandale à la fin du XVe ! Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui admis unanimement dans le monde de l’art, que ces bustes représentent un Prophète et une Sibylle…

Toutefois, datés de 1463, ces deux oeuvres, ont été exécutées un an après la révolte des habitants de Bouxwiller, au moment de l’exil de la maîtresse de Jacques de Lichtenberg. Ainsi, il n’est pas impensable que l’artiste ait choisi de conférer à ses sculptures une ressemblance avec les deux figures emblématiques de l’actualité politique. D’ailleurs, on sait que Nicolas de Leyde cherchait une individualisation de ses visages sculptés. Or, il a sans nul doute cherché l’inspiration dans les traits de ses contemporains. L’identification des sculptures à Barbe d’Ottenheim et à Jacques de Lichtenberg, si elle reste très certainement abusive, peut également avoir résulté de l’imaginaire populaire : le visage vieillissant et barbu du buste masculin, associé à la tête juvénile, délicate et hautaine de la femme, ne peut qu’avoir enflammé les commérages sur un sujet aussi palpitant! On imagine aisément combien un tel scandale a dû animer les conversations, dans toutes les strates de la population alsacienne et germanique.


Après la destruction de la chancellerie, ces bustes ont été néanmoins conservés. Au XIXe siècle, ils étaient présentés dans l’église des Dominicains de Strasbourg, transformée en bibliothèque. L’incendie de l’édifice à la guerre de 1870 causa la destruction des sculptures. Toutefois, les têtes ont fort heureusement été sauvées des décombres. La tête dite de Barbe d’Ottenheim se trouve à Francfort, au Musée de la Liebieghaus, tandis que celle dite de Jacques de Lichtenberg, est toujours visible à Strasbourg, au Musée de l’Œuvre Notre-Dame.

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