La Vierge de Miséricorde de Mouterhouse

Le village de Mouterhouse peut se targuer de conserver l’un des plus beaux groupes sculptés du Pays de Bitche. Il s’agit d’une très importante effigie de la Vierge Marie, abritant sous les pans de son manteau une multitude de personnages implorant sa protection. Ce type de représentations correspond à l’iconographie de la Vierge de Miséricorde (ou de Bonsecours). Datant du début du XVIIIe siècle, la sculpture prend place dans le chœur d’une non-moins intéressante chapelle gothique tardive. Ancienne chapelle castrale elle fut fondée par le comte Reinhard de Deux-Ponts Bitche en 1504. Cette chapelle prend place sur un lieu de culte païen, dédié à une Matrone pré-romaine, associée à une source, qui s’écoule encore de nos jours en contre-bas de la chapelle.

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Vierge de Miséricorde – Choeur de la chapelle

Une sculpture monumentale

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Chapelle de Mouterhouse (1504)

Eu égard à ses dimensions, la Vierge de Miséricorde de Mouterhouse peut-être qualifiée de Monumentale. En effet, mesurant 1,54 m de hauteur, il s’agit de l’une des rares sculptures grandeur-nature conservée dans notre région. D’une largeur d’1,24 m à sa base, le groupe adopte une composition pyramidale symétrique, qui confère à la sculpture une ampleur, soulignant la noblesse et la grâce de la figure mariale. Enfin, la sculpture, profonde d’une trentaine de centimètres, présente un dos plat (évidé?), adossé contre le mur de la chapelle.

Les dimensions inhabituelles de la sculpture, induisent un véritable effet de présence de la Vierge de Miséricorde. Celui-ci est encore renforcé par une agréable polychromie (toutefois la polychromie originale est recouverte par des couches plus récentes).

D’un point de vue structurel, le groupe est composé de plusieurs éléments verticaux en bois de tilleul assemblés et fixés à la base sur une plinthe intégrée au socle de la statue, et de ce fait quasiment invisible.

La figure de la Vierge

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Vierge de Miséricorde – Vue d’ensemble

La Vierge est représentée le visage serein et les yeux fixés vers le fond de la chapelle. Sa tête est voilée. Débout, en léger hanchement, elle s’appuie sur sa jambe droite, tandis que la gauche, légèrement pliée conditionne le mouvement du drapé de sa robe rouge. Cette-dernière a fait l’objet d’un traitement particulièrement soigné par le sculpteur. Ses plis, fins et cassés, créent un effet de « tunique mouillée », qui laisse transparaître le corps de le Vierge. La mince ceinture, nouée élégamment et marquant nettement la taille, met en exergue le ventre rond et la poitrine de la Vierge. En insistant sur ces parties de l’anatomie virginale, le sculpteur fait ici rappel des fonctions de la Vierge Marie : elle est la Mère de Dieu, celle qui élève, et par extension elle est Mère Universelle. En effet, en tant que telle, elle ouvre les pans de son manteau pour y accueillir une multitude de personnages en prière.

Vierge de Miséricorde de Mouterhouse
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Les groupes abrités sous le manteau

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Vierge de Miséricorde – Groupe d’hommes

D’après Paul Perdrizet, reprenant une hypothèse de Bouchot, les costumes des personnages sembleraient indiquer les environs de 1670, ce qui n’exclue pas une datation plus tardive aux environs de 1700.

 Les deux groupes abrités par le manteau sont très hiérarchisés. On note premièrement une séparation des sexes : les hommes s’abritent à dextre (connu en histoire de l’art pour être la meilleure place, à la droite de la figure de Marie), tandis que les femmes se regroupent à senestre. Chacun des deux groupes est composé de sept personnages, dont le nombre ne peut être fortuit.

Le sculpteur a créé un étagement de ces figures et, en réduisant légèrement la dimension des personnages situés en hauteur, il est parvenu à induire un effet de profondeur. Cet étagement marque très clairement les strates de la société.

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Vierge de Miséricorde – Groupe de femmes

Les personnages les plus importants, se retrouvent de part et d’autre de la Vierge. Il s’agit d’un homme et d’une femme représentés agenouillés en prière, confortablement installés sur des coussins, ornés de passementeries. De leurs mains jointes, ils effleurent la robe virginale. Ils bénéficient ainsi de la meilleure place auprès de la Vierge. Il s’agit manifestement de personnages nobles : ils sont entourés par trois personnages chacun, dont les vêtements, coiffures et bijoux (l’une des femmes porte un large collier en ras-du-cou), dénotent une extraction sociale également élevée. Ces figures font d’ailleurs office de « barrière » avec les six derniers personnages, qui représentent le clergé (on note la présence de figures monastiques), et les paysans hissant péniblement leur tête au-dessus de cet étagement social.

Développement et déclin de l’iconographie de la Vierge de Miséricorde

Le thème de la Vierge de Miséricorde est une invention artistique médiévale visant à mettre en exergue les qualités protectrices de la Mère de Dieu, née de la vision d’un moine, relatée par Césaire d’Heisterbach, Cistercien de Cologne. Dans son Dialogus miraculorum, rédigé entre 1220 et 1230, il relate en effet l’apparition de la Vierge protégeant de son manteau les membres de l’ordre Cistercien. Rapidement d’autres ordres monastiques s’attribuèrent cette iconographie, à l’exemple des Dominicains, des Chartreux, des Jésuites, etc.

Rapidement, ce sont les confréries, fondées à partir du XIIIe s. sous l’impulsion des ordres mendiants, qui vont s’approprier l’iconographie de la Miséricorde, notamment pour souligner leurs œuvres de charité.

L’abri qu’offre la Vierge de Miséricorde aux hommes est également perçue au cours du Moyen-Age et de la période Moderne comme étant efficace contre la colère de Dieu, et notamment contre les fléaux tels que la peste. Conséquence des épidémies successives, la Vierge au manteau devient progressivement Mater omnium, Mère universelle. Le manteau n’accueille plus seulement les religieux, mais devient le refuge de l’humanité toute entière.

D’ailleurs, dès le XVe siècle, le manteau de la Vierge offre fréquemment le refuge aux membres d’une famille clairement identifiée : les proches du donateur de la sculpture.

Pourtant, au XVIe siècle, cette iconographie « gothique » tombe progressivement en désuétude, sans doute encouragée par le développement du Protestantisme, dont les critiques acerbes des images n’épargneront pas la Vierge de Miséricorde.

A partir du XVIIe s. cette représentation mariale tombe dans un oubli quasi-total, elle ne jouit désormais d’une renommée, que dans les rares sanctuaires auxquels elle est attachée.

Ainsi, la Vierge de Mouterhouse apparaît, en ce début du XVIIIe siècle, comme une survivance archaïsante d’un thème iconographique suranné. Mais quels éléments peuvent expliquer la présence de cette statue aux confins du duché de Lorraine ?

Un thème iconographique cher à la Lorraine

Le thème de la Vierge de Miséricorde est une iconographie particulièrement renommée en Lorraine. En effet, à l’aube du XVIe siècle le duc René II (1451-1508) avait passé commande au sculpteur Mansuy Gauvain d’une Vierge au manteau. La statue, datée de 1505, est un exemple exceptionnel de l’art lorrain de la fin du Moyen-Age. Elle était destinée à orner une chapelle de Bonsecours construite par le duc, pour commémorer la victoire lorraine sur les troupes bourguignonnes de Charles le Téméraire (1433-1477), en 1477.

La célébrité du modèle a très rapidement dépassé les murs de la ville de Nancy, et la dévotion à la Vierge de Bonsecours fut renforcée au cours du XVIIe siècle dans toute la Lorraine, par les horreurs subies par les populations lors de la Guerre de Trente ans.

Enfin, l’épidémie de peste qui décima la Lorraine entre 1630 et 1631, conduisit la famille ducale à chercher la protection divine. Le duc François II (1572-1632), choisit ainsi finalement de faire peindre une Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau les membres de la maison de Lorraine.

Provenance de la Vierge de Mouterhouse

La provenance de la Vierge de Mouterhouse reste pourtant problématique. Aucun document n’indique ni l’auteur, ni la provenance de la sculpture. Perdrizet voit en cette sculpture une œuvre issue d’une sphère d’influence française, dont la Lorraine est un bon exemple. Il exclue de ce fait une provenance allemande. En effet, les Schutzmantelbilder allemandes ne présentent pas cette régularité pyramidale.

Bien sûr, le modèle le plus évident pour la Vierge de Mouterhouse reste indéniablement l’œuvre de Mansuy Gauvain. La représentation de la figure mariale est très semblable notamment le mouvement des bras, la posture des mains, le regard fixe ainsi que la disposition du voile. On note par ailleurs la similitude de la boucle formée par le nœud de la ceinture. De même, le socle rocailleux qui supporte le groupe nancéien, se retrouve sur l’œuvre de Mouterhouse.

On remarquera cependant à Mouterhouse, une disposition plus régulière des personnages. Par ailleurs, on observe l’inversion de la jambe d’appui entre les deux sculptures. Cette divergence s’expliquerait aisément si le sculpteur de l’œuvre de Mouterhouse avait utilisé comme modèle une gravure de l’œuvre de Mansuy Gauvain. En effet, la technique de l’estampe provoque une inversion des motifs.

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Inscription visible sur la façade d’une maison voisine de la chapelle

Quoi qu’il en soit, si l’origine du groupe sculpté reste mystérieuse, la présence à Mouterhouse d’une interprétation tardive de l’œuvre de Mansuy Gauvain pourrait être mise en rapport avec la présence de la famille de Dithmar. En effet, Jean-Valentin de Dithmar, fermier général du comté de Bitche, possédait à Mouterhouse des ateliers de forges. Détruits au cours du XVIIe s. Jean-Frédéric de Dithmar, seigneur de Gentersberg et de Moranville, rétablit les établissements au début du XVIIIe siècle.

Si l’on suit cette hypothèse, il n’est pas impossible que les figures nobles, sous la protection de la Vierge, représentent une partie de la famille de Dithmar.

Toutefois en l’état actuel de la recherche il ne nous est pas permis de nous avancer fermement quant à l’identification des personnages. Il n’est pas non-plus impossible que les deux figures agenouillées représentent le couple ducal.


Pour en savoir plus sur l’iconographie de la Vierge de Miséricorde :

Paul Perdrizet, La Vierge de Miséricorde : étude d’un thème iconographique, Paris, A. Fontemoing, 1908.

2 commentaires :

  1. antoon meert

    Excellente analyse tres complete !

  2. Durr Dominique

    Ma grand mère maternelle : Anne GRIMM née le 06/01/1888 à Stiring Wendel marié à Louis VALENTIN de Mouterhouse né en 1883 a brodé pendant de longs mois une nappe d’autel pour cette chapelle.

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