Polissoirs et pétroglyphes, témoins de la révolution Néolithique dans les Vosges du Nord

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Polissoir de Haspelschiedt-détail

Mystérieuses, discrètes, méconnues, imperceptibles ou grandioses, d’étonnantes scarifications viennent marquer la surface d’un bon nombre de rochers des Vosges du Nord. Le passant ne prêtera peut-être pas attention à ces entailles, peut-être ne les verra-t-il même pas… Ces humbles traces sont pourtant les vestiges de l’occupation humaine de nos contrées au Néolithique, et dateraient d’il y a environ 6000 ans.

Il faut, pour les apercevoir, s’attarder le long des crêtes rocheuses, arpenter les interminables barres de grès, prêter attention au moindre affleurement. Sous les petits abris – ceux-là mêmes qui accueillaient nos ancêtres de la Préhistoire, et qui préservent encore aujourd’hui les traces de leur présence – vous trouverez peut-être ces étonnantes stries.

Le polissage de la pierre : une révolution !

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Stries incurvées d’un polissoir de Philippsbourg

La pratique de polir la pierre constitue une véritable révolution dans le domaine de l’outillage mais aussi de l’armement préhistoriques. Même si le Paléolithique avait connu le polissage de l’ivoire et de l’os, il n’était pas pour autant employé pour parfaire ses outils de pierre.

Or, à partir du Néolithique, l’Homme parachève la fabrication de ses instruments par une finition soignée obtenue par le polissage. Il s’applique à aiguiser le tranchant de ses artefacts, à estomper les irrégularités des formes de ses outils, pour les amener à un état de perfection quasi-archétypale. Les formes lisses et pures nouvellement obtenues offrent plus d’efficacité et plus de résistance.

Pour ce faire, l’Homme du Néolithique choisit une pierre qui se prête à l’abrasion : dans les Vosges du Nord le grès abondant s’avère être une roche parfaite pour cette pratique. Il suffisait de passer l’objet à polir sur la surface de la pierre. Il fallait bien entendu humidifier le polissoir, et au besoin ajouter du sable pour augmenter l’abrasion. Les traces laissées par cette activité sont généralement des entailles parallèles, induites par le frottement d’un corps dur, dans un mouvement de va et vient.

En dépit d’apparences et de dimensions variables, les traces de polissoirs préhistoriques ne sauraient être confondues avec des graffiti modernes. En effet, les entailles des polissoirs sont généralement larges, en forme de minces navettes, au fond arrondi, à la texture modifiée par la pression et l’échauffement issus du travail de la pierre.

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Grand polissoir de Philippsbourg

Outils préhistoriques découverts dans les Vosges du Nord

On recense parmi les nombreux objets ainsi produits par l’Homme du Néolithique, des haches, des gouges, des ciseaux, ou encore des herminettes…

Un certain nombre de haches polies ont été découvertes, principalement au début du XXe siècle, au pied des polissoirs et en diverses localités des Vosges du Nord. De telles trouvailles ont été faites à Haspelschiedt, Bousseviller, Sturzelbronn, Liederschiedt, Roppeviller, Schorbach, mais aussi dans la région de Niederbonn.

Ces haches présentaient encore pour certaines, des traces de taille brute issues du façonnage préalable de la pierre. Les objets ainsi produits présentent des formes diverses, appartenant toutes à la civilisation lacustre, caractérisée notamment par la construction d’un habitat au bord des lacs, des étangs, parfois sur pilotis.

Les pierres employées pour réaliser ces outils étaient de natures diverses, avec pour seul point commun leur dureté. Les haches mises au jour étaient principalement en basalte noir, mais aussi en grauwacke noir, en schiste, en phtanite noir, en jaspe vert ou jaunâtre, ainsi qu’en grès très compact. La dimension des haches oscillait entre 4 et 15 cm.

Le choix de l’emplacement des polissoirs dans les Vosges du Nord

L’Homme du Néolithique ne choisit pas n’importe quel type de grès. Il s’applique à chercher une strate bien compacte, épaisse et uniforme, dépourvue d’impuretés. Elle lui permet une abrasion optimale.

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Polissoir de la Lieschbach

En général, ce grès de qualité ne se présente que ponctuellement à la base des barres rocheuses. Ainsi les polissoirs du Néolithique dans les Vosges du Nord sont principalement de petites dimensions (Lieschbach, Roppeviller, Philippsbourg). Toutefois, il faut mentionner des sites de tailles plus importantes tels que celui du Steinkopf. Enfin, il existe un polissoir remarquable par son ampleur, situé à Haspelschiedt. Il s’agit là de l’exemple le plus impressionnant, facile d’accès sur des sentiers balisés.

Par ailleurs, le choix de l’emplacement des polissoirs est régi par plusieurs critères. Il sont tous situés sous des abris rocheux naturels, sur des surfaces verticales, ou horizontales (formant alors de véritable « tables » de polissage). Enfin, ces sites prennent fréquemment place à proximité de points d’eau (polissoir de la Lieschbach), ce qui est en accord avec l’implantation de l’habitat des cités lacustres. Toutefois, ce-dernier critère n’est pas systématique !

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Grande cupule du Wasserstein à Windstein

En effet, certains polissoirs se situent à des altitudes surprenantes tels que celui situé au sommet du Steinkopf à Windstein, culminant à 515m. Il s’agit là du plus haut polissoir des Vosges du Nord découvert par Charles Mathis, qui le considérait alors comme le seul en Alsace. Sa localisation suscite bien entendu des questions pratiques : pourquoi se donner la peine de gravir une montagne pour polir des outils, quand la vallée regorge d’affleurements rocheux de qualité ? Peut-être a-t-on simplement cherché la sécurité des sommets, où l’Homme aurait pu établir temporairement son habitat. Cette hypothèse se heurte pourtant à l’absence d’approvisionnement continu en eau. Seules les imposantes cupules du Wasserstein situées à moins d’un kilomètre et demi pouvaient avoir constitué une réserve lors des saisons humides.

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Polissoir du Steinkopf à Windstein

Peut-être a-t-on aussi cherché des lieux chargés de symbolique rituelle, pour insuffler aux outils fabriqués la force magique d’un espace sacré. Dans la mesure où la subsistance du groupe, ou de la tribu, dépendait de la qualité de ses outils, il n’est pas étonnant de trouver des passerelles avec la spiritualité. En effet, ce qui nous apparaît aujourd’hui comme des objets purement utilitaires, revêtaient en réalité au Néolithique une importance toute particulière, pour ne pas dire vitale. Il n’est donc pas impossible qu’à cette époque on ait attaché aux outils une véritable valeur fétichiste.

D’ailleurs, les haches découvertes dans notre région sont parfois surprenantes, en raison de leur perfection et de leurs proportions réduites. Elles furent considérées dès leur mise au jour par Bergthol, comme n’étant pas des outils, mais plutôt des amulettes ! Cette interprétation est cohérente avec la présomption rituelle des lieux de polissage.

Traces de polissage ou pétroglyphes ?

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Symbole en rectangle barré du Hinterfelsen

Généralement, les traces de polissage se présentent comme des entailles isolées ou parallèles et elles sont généralement bien définies. Pourtant certaines gravures se caractérisent par des sillons dont la disposition ou l’apparence semblent prendre le contre-pied de l’hypothèse d’une simple activité de fabrication d’outils… Ça et là, de grandes entailles se croisent, se coupent, s’enchevêtrent, formant un chaos de lignes. Le polissoir du Hinterfelsen situé dans le camp militaire de Bitche (l’accès au site est strictement interdit aux civils), se caractérise par une densité importante de petites stries parallèles organisées et regroupées selon des orientations différentes. Ce qui interpelle, c’est aussi l’allure graphique du site, la régularité des gravures tant au niveau de leurs dimensions que de leurs espacements. On pourrait y voir une volonté méticuleuse de recouvrir entièrement la surface plane du rocher trônant sous un imposant abri naturel. Certains groupes de stries sont traversés en leurs milieux par une ligne orthogonale, tels qu’on les retrouve également au polissoir de l’Arnsberg. On relève aussi au Hinterfelsen la présence d’un énigmatique rectangle barré, ainsi que d’autres symboles récurrents dans les Vosges du Nord…

Polissoir du Hinterfelsen
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A Lieschbach et au Steinkopf, ce sont des étoiles qui constellent le rocher ; des étoiles aux branches régulièrement gravées… Celles du Steinkopf s’inscrivent du reste dans un carré presque parfait.

 

Quelle interprétation donner à ces singularités ? Peut-être viennent-elles conforter l’idée du lien entre l’activité de polissage et le sacré. Loin de laisser de simples traces d’un travail pénible et répétitif, l’Homme du Néolithique a, semble-t-il, trouvé le moyen de s’exprimer. Ces entailles nous renseigneraient donc d’avantage sur les mentalités de nos lointains ancêtres qu’on ne le suppose de prime abord.

Certains spécialistes ont vu dans ces formes, des entrecroisements raisonnés, apparentés à des symboles dotés d’un sens et d’une raison d’être toute particulière. L’Homme aurait donc stylisé inconsciemment son monde à la surface du roc, annonçant au stade embryonnaire ce qui serait un jour l’écriture. L’étude des pétroglyphes à une échelle plus large a amené certains érudits à conclure que l’on retrouvait dans les pétroglyphes des symboles alphabétiformes, préfigurant un certain nombre d’écritures.

Toujours à une échelle géographique plus vaste, mais c’est aussi le cas dans les Vosges du Nord, on relève une reprise des mêmes formes de lieu en lieu, d’âge en âge… Comme s’il existait une nécessité de les répéter sans cesse. Peut-être peut-on y déceler la croyance en une charge magique, apotropaïque. Il s’agirait de symboles, apte à attirer ou éloigner le bien et le mal.

Polissoir de la Lieschbach
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Par ailleurs, certains abris qui accueillent les gravures sont minuscules, et impropres à un travail confortable. N’aurait-on pas choisi ces lieux, pour des raisons plus profondes que la motivation d’une simple activité manuelle industrieuse ? L’abri protège les symboles des intempéries, il offre également un cadre sombre, se prêtant à la magie. Enfin, la lecture de ces signes devait requérir une connaissance spéciale, et on ne doit pas exclure la volonté de dissimuler ces symboles, pour en augmenter le caractère mystérieux.

Polissage rituel et astronomie néolithique

La présence de gravures en forme d’étoile pourrait quant à elle être mise en rapport avec l’observation de la voûte céleste par nos ancêtres. Bien entendu, ces phénomènes aujourd’hui expliqués par la science, ne pouvaient qu’éveiller dans l’esprit de nos ancêtres un imaginaire extrêmement fertile. On pourrait donc voir sur les rochers une volonté de représenter, en les stylisant inconsciemment, les astres observés. Les sites du Steinkopf et du Hinterfelsen entre autres, se prêteraient du reste, parfaitement à l’observation du ciel, en raison de leurs localisations en altitude et de leurs orientations vers des zones bien dégagées.

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Amas stellaire des Pléaides Copyright : Club Astro Polaris, Freyming-Merlebach avec l’aimable autorisation de l’association Sirius

Il semblerait notamment que les Pléiades (M45, dans le catalogue d’objets célestes identifiés par Messier) aient été connues depuis les âges les plus reculés. Les représentations les plus anciennes remonteraient au Paléolithique. Visible dans la constellation du taureau, inscrit dans le ciel Sud, cet amas lumineux d’étoiles devait être bien remarquable durant les nuits d’hiver de la préhistoire…

Il est donc tout à fait possible d’imaginer que le groupement d’étoiles du polissoir de la Lieschbach soit une représentation archaïque des Pléiades. Il s’agit de l’un des objets célestes les plus brillants du ciel nocturne, décrivant dans le firmament du néolithique une trajectoire proche du plan de l’écliptique. Cela signifie donc que le parcours céleste de M45 ressemblait fortement à celui décrit par le soleil, ainsi que par le ballet des planètes visibles à l’œil nu. Les Pléiades auraient même été à l’origine d’une mesure du temps en années stellaires. Une année était composée de deux séquences majeures durant lesquelles l’amas était alternativement présent ou absent de la voûte céleste. Leur réapparition aurait fait office de signal lançant le début des moissons sous nos latitudes. De plus, il existe en France diverses représentations de M45 sous forme d’alignements de 5 ou 6 cupules qui dateraient du Paléolithique, dans lesquelles on retrouve des configurations très proches des étoiles du polissoir de la Lieschbach.

La représentation d’étoiles organisées en amas compact tel que nous pouvons en voir à la Lieschbach reste au demeurant unique dans les Vosges du Nord. Précisons également que les Pléiades ont eu une importance majeure dans de nombreuses cultures et ce, jusqu’à aujourd’hui.

Enfin, on remarque que l’orientation la plus fréquente des polissoirs est justement tournée vers le Sud (Steinkopf, Lieschbach, Haspelschiedt) d’où ces astres sont visibles.

Polissoir du Steinkopf
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Il faut toutefois considérer ces interprétations avec prudence, aucune certitude n’étant acquise. La similitude des gravures avec les pétroglyphes de Fontainebleau, ou ceux, retrouvés en Espagne, nous incitent pourtant à ne pas en sous-estimer l’importance ! Bien entendu, nous n’aurons aucune réponse concrète à toutes ces suppositions… et la culture Néolithique conservera pour toujours ses secrets.

Préservations des polissoirs et symboles gravés

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Polissoir de Haspelschiedt- vue d’ensemble

Si les traces de l’activité de l’Homme au Néolithique ont su traverser les millénaires, cela est dû au choix scrupuleux d’une pierre de qualité, et d’un abri les protégeant de l’usure du temps. Il est évident que beaucoup de polissoirs ont disparu au fil des âges. Nous n’en avons donc qu’une vision tronquée et il s’agit aujourd’hui de préserver ce qu’il reste de ce patrimoine tout à fait exceptionnel.

Le polissoir du Hinterfelsen est l’un des mieux conservés de notre région. Les très nombreuses stries qui marquent la surface du rocher sont encore parfaitement définies. Toutefois, une érosion rapide commence à entamer la dalle par l’arrière.

L’inévitable érosion altère également la totalité des reliefs du Steinkopf. Cependant, il est regrettable d’y découvrir des graffiti modernes (tout comme à Haspelschiedt). Par ailleurs des traces de feu de camp viennent aussi à noircir et éroder les parois de certains sites !

Il est essentiel aujourd’hui de prendre conscience de la valeur de ces précieuses traces, témoignages fragiles de l’Histoire de l’Homme s’éveillant à une civilisation nouvelle, se fondant sur un travail plus abouti de la pierre, ainsi qu’une vision du monde plus raffinée.

Polissoir du Arnsberg
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Remerciements

 Vosges-du-Nord.fr tient à remercier particulièrement les personnes suivantes :

-La base militaire de Phalsbourg pour nous avoir délivré l’autorisation d’accès au site du Hinterfelsen.

-Le 16e bataillon de chasseurs de Bitche et plus particulièrement le capitaine Goetzmann pour avoir géré l’organisation de notre visite du camp militaire.

-Monsieur Koenigsaecker, technicien opérationnel en charge du domaine militaire boisé, pour nous avoir guidé dans le camp militaire.

-L’association du planétarium Sirius qui a fourni et accordé le droit d’utilisation du cliché des Pléiades.

-M. G. Fauchon pour nous avoir indiqué l’emplacement du polissoir de la Lieschbach et de celui du Mueckenthal à Philippsbourg.

6 commentaires :

  1. Je ai trouvé une grand pierre avec la figure carré entaillé et il me semble que s’agite d’un polissoir neolithique…et je dispose des photos si vous voulez me contacter, merci

  2. Jaffé Olivier

    Bonjour, et tout d’abord merci pour cet article.
    Depuis 2 ans je cherche des affûtoirs/polissoirs en vallée d’Ossau – Pyrénées.
    Une question: Si je comprends bien la relation avec le façonnage des haches, je n’arrive pas à « voir » l’utilisation (la technologie, la technique ?) pour l’affûtage de la partie tranchante, surtout dans le cas de rainures étroites, fusiformes et avec une section en V.
    Existe-t-il des articles relatifs aux techniques d’affutages (au mode opératoire, au processus…) ?
    Pourriez-vous m’éclairer ?
    Par avance merci

    • vosges-du-nord.fr

      Bonjour et merci pour votre commentaire. Nous allons vérifier dans la bibliographie utilisée pour la rédaction de cet article si nous disposons de précisions sur les informations que vous recherchez. Nous vous tenons au courant !

  3. Toujours super ce site. J’y trouve toujours une mine d’informations surprenantes et passionnantes. Merci pour ce beau travail qui m’incite à aller parcourir la région. Super ! Bravo !🤗

  4. Je suis allée å liesbach. La promenade était vraiment remarquable. Mais je n ai pas trouvé le polissoir bien que je sois allée explorer plusieurs rochers. Pouvez vous m’ indiquer des coordonnėes gps ou préciser le lieu ?
    Merci

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