Un lieu de culte sous un vocable rare : la chapelle Sainte-Vérène d’Enchenberg

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Chapelle Sainte-Vérène, vue d’ensemble

Bien connue des habitants du Pays de Bitche, la chapelle Sainte-Vérène d’Enchenberg est un lieu phare de la piété populaire locale. Dans son écrin de verdure changeant, l’assonante ligne des toitures de la chapelle se marie avec la silhouette heurtée de la sapinière qu’elle a pour toile de fond. Le sanctuaire, d’origine médiévale, est placé sous le rare vocable de sainte Vérène. La vénération d’une telle figure trouve pourtant dans le Pays de Bitche une résonance toute particulière.

La chapelle Sainte-Vérène, un oratoire médiéval remanié

Le bâtiment, tel qu’il se présente actuellement est composé de deux éléments accolés : la chapelle médiévale et l’ermitage, plus tardif. La chapelle possède un plan extrêmement simple, composé d’un choeur quadrangulaire et d’une nef couverte d’un plafond de bois. On y pénètre par une porte en arc brisé mouluré, en grès bigarré. L’espace intérieur, n’est baigné que d’une lumière sporadique, distillée par de très rares ouvertures. Deux fenêtres, dont une en arc plein-cintre, éclairent le chœur, et on ne dénombre que trois baies pour la nef. L’une d’elle, située à côté de l’entrée, présente un charmant remplage dont les formes simplifiées évoquent malgré tout la fantaisie du gothique flamboyant du XVe siècle. Les deux autres ouvertures de cet espace sont plus tardives, sans doute du XVIe ou XVIIe siècle. Il s’agit de fenêtres quadrangulaires dont les meneaux ont disparus. Les trois ouvertures de la nef accueillent aujourd’hui des vitraux modernes empruntant un vocabulaire néo-médiéval et remplaçant les verrières anciennes, disparues dans les années 1960.

 

Ainsi, les dispositions de la chapelle, et notamment la baie gothique flamboyante, semblent plaider pour une datation tardive, sans doute à la seconde moitié du XVe siècle. Pourtant, la simplicité de l’ensemble du bâtiment, ainsi que la baie en plein-cintre du chœur, laissent supposer une origine plus ancienne. Sainte-Vérène est donc, avec la chapelle de l’Étang de Bitche, Notre-Dame de la Miséricorde de Mouterhouse, et Sainte-Marguerite d’Olferding (ruines, propriété privée), l’une des quatre chapelles médiévales conservées du Pays de Bitche. Quoiqu’il en soit, le lieu n’est mentionné pour la première fois dans les sources qu’à partir de 1578. L’arc triomphal du chœur, dessinant une accolade, porte la date de 1685 correspondant à une campagne de restauration de l’édifice.

Le mobilier de Sainte-Vérène est dans son ensemble, relativement récent. On notera simplement le retable en bois, dû aux ciseaux de Jean Martersteck, sculpteur d’origine tyrolienne, et auteur de nombreuses  réalisations de mobilier liturgique au Pays de Bitche au XVIIIe siècle. Volé dans les années 1960, le retable fut retrouvé à l’état de fragments et replacé dans la chapelle. Il est inscrit depuis 1991 sur la liste des Monuments Historiques.

L’ermitage, accolé au sanctuaire, est quant à lui composé de deux niveaux d’élévation. La date de 1745 portée sur le linteau de l’entrée, encadre le monogramme du Christ. La porte est surmontée d’une amusante tête d’angelot en grès, soulignant elle-même une niche. L’adjonction de cet ermitage trahit un développement manifeste de la dévotion à sainte Vérène dans le Pays de Bitche au XVIIIe siècle.

 

Vérène, une sainte orientale

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Bas-relief représentant sainte Vérène, avec ses attributs

Le culte à sainte Vérène est certes rare, mais sa présence dans le Pays de Bitche trouve des justifications tout à fait satisfaisantes. Vérène de Zurzach est une figure sainte du IIIe ou IVe siècle s. D’origine égyptienne, elle aurait accompagné la légion thébaine, menée par saint Maurice. Arrivée en Suisse, la légion fut martyrisée à Agaune. Sainte Vérène se retira en ermite à Soleure. Elle était connue pour sa charité et pour son assistance aux pauvres. Elle est fréquemment représentée lavant la tête et épouillant les miséreux. Emprisonnée en raison de sa popularité, elle fut finalement libérée et finit ses jours à Zurzach. Son iconographie est très reconnaissable : elle porte un peigne et une cruche ou un seau, en signe des ses activités charitables.

Elle est sainte patronne des pauvres et protectrice des animaux domestiques. On l’associe parfois aux sources, tel qu’à la source miraculeuse d’Auzon. À Enchenberg, une source lui est également dédiée, en contrebas de la chapelle. Il s’agit là à nouveau d’une survivance païenne, dont la tradition est bien représentée dans le pays de Bitche (Bildmühle, ou encore Source Saint-Hubert à Lemberg). De là à supposer que sainte Vérène ne fait que remplacer une divinité des sources païennes, il n’y a qu’un pas. Il n’est pas impossible que le lieu ait été investi d’une importance spirituelle dès l’Antiquité (de la même manière que c’est très probablement le cas pour la chapelle de Mouterhouse).

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Bannière de procession à l’effigie de sainte Vérène, XIXe-XXe siècle

Enfin, même si le culte à sainte Vérène est arrivé dans nos contrées au Moyen Age, par le contact géographique avec des régions limitrophes de la Suisse, il a été renforcé par un facteur démographique. En effet, le Pays de Bitche, connaît dans la deuxième moitié du XVIIe siècle une vague d’immigration destinée à repeupler les contrées dévastées par la Guerre de Trente Ans. Parmi les nouveaux arrivants, nombreux furent les Suisses. Ils ont marqué l’histoire du Pays de Bitche, et on retrouve encore aujourd’hui la trace de leur implantation. En effet, on relève par exemple l’existence de la Petite-Suisse (Schwitzerländel) à Eguelshardt, mais aussi la Maison Suisse à Wimmenau.

Les Suisses ont également emporté avec eux la dévotion pour les saints orientaux de la légion thébaine et notamment saint Maurice. Ainsi on retrouve ce-dernier comme saint patron des églises de Lemberg et Guiderkirch-Erching.

Cette immigration explique donc le développement exponentiel du culte à sainte Vérène à Enchenberg, ainsi que l’adjonction du bâtiment de l’ermitage. A partir de 1770, chaque 1er mai, une procession lui est dédiée. En effet, cette tradition est due aux habitants de Lambach, afin de protéger les troupeaux de la peste bovine qui sévissait dans la région (à l’instar du Bild de Siersthal).

Conclusion

Cette chapelle d’Enchenberg est un rare exemple du culte à sainte Vérène dans les Vosges du Nord au Moyen Age. Sainte protectrice des populations indigentes et des bestiaux, elle semble parfaitement répondre aux angoisses de la population rurale de la région. Sa vénération connaît un succès sans précédent au XVIIIe siècle, en raison de l’arrivée de populations depuis la Suisse, épicentre de son culte. Sur place, profitez-en pour suivre le sentier du chemin de croix, ponctué par les 14 stations en grès du XVIIIe s.

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