Visite insolite de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg

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Vue de la Cathédrale depuis les toitures du bras Sud du transept

Dans le cadre des Journées du Patrimoine 2014, la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame proposait une visite insolite de la Cathédrale de Strasbourg. Accessible sur réservation uniquement, cette visite permettait à de petits groupes d’une quinzaine de personnes de découvrir certaines parties de l’édifice, habituellement inaccessibles. En plus d’offrir des points de vue uniques sur l’exceptionnelle architecture gothique, la visite permettait de prendre la mesure du travail mené par les ouvriers de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame. En effet, deux artisans, Thierry et Benjamin – devenus guides l’espace d’un week-end – se proposaient de répondre à toutes les questions des visiteurs. Nous avons eu le privilège de participer à l’une de ces visites et nous nous proposons de vous en livrer un petit aperçu.

La Cathédrale et l’Œuvre Notre-Dame

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Bâtiment abritant le siège de la fondation et le musée de l’Oeuvre Notre-Dame

La Fondation de l’Œuvre Notre-Dame est une structure mentionnée pour la première fois en 1246. Dès l’origine, elle se chargeait de la collecte de fonds et de l’organisation des travaux de construction et d’entretien de la cathédrale de Strasbourg. Depuis l’achèvement de l’édifice en 1439 et jusqu’à nos jours, elle poursuit inlassablement son œuvre de restauration.
La direction de la Fondation occupe un bâtiment du XIVe siècle, abritant également une partie des collections du Musée de l’Œuvre Notre-Dame. Ce musée conserve la plupart des sculptures originales de la Cathédrale. On peut ainsi mentionner les deux superbes figures représentant l’Église et la Synagogue  (c.1230), ou encore les Vierges Sages et Vierges Folles du portail Sud de la façade de l’édifice. Toutes ces œuvres, trop fragiles et précieuses pour rester in situ, ont été remplacées par des copies d’une fidélité remarquable. La découverte de ce musée s’impose donc comme le pendant indispensable à la visite de la Cathédrale.

La visite insolite

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Restauration des éléments décoratifs des tourelles de la façade Sud du transept

Munis de nos badges, nous avons débuté la visite insolite de la Cathédrale par l’ascension du bras Sud du transept. Pour cela, nous avons emprunté le monte-charge, mis en place pour le chantier de restauration de cette partie de l’édifice. Arrivés au sommet des toitures, les guides nous présentent les travaux en cours. Nous faufilant sur les échafaudages, on nous explique différents procédés de restauration : nettoyage de la pierre par micro-sablage, remplacement d’éléments sculptés, jointures au plomb… La restauration a pour but de rester la plus fidèle à l’état d’origine, ou à l’état le plus ancien connu. Ainsi, jusqu’à la teinte du grès est respectée pour chaque bloc, chaque ornement. Aucun détail n’est laissé au hasard.

Quittant le bras du transept, avec au passage une vue imprenable sur les toitures et la face arrière du massif occidental, nous rejoignons la tour Klotz. Il s’agit de la tour de croisée du transept, édifiée par l’architecte Gustave Klotz, dont elle porte le nom. Il s’agit d’une construction néo-romane, édifiée dans les années 1870-1880, pour remplacer la tour gothique surnommée la mitre, disparue au cours d’un incendie en 1759. La tour repose sur une maçonnerie romane (vers 1200), animée par une galerie à colonnade, appelée galerie naine. C’est dans cette galerie que nos guides nous présentent l’impact d’un boulet de canon tiré par les armées de Louis XIV en 1678. Une plaque commémorative rappelle l’événement.

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Tour de la croisée du transept édifiée par Gustave Klotz

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Impact de boulet de canon tiré par les armées françaises en 1678

 

 

 

 

Par un premier escalier à vis (le premier d’une longue série), nous accédons à la base de la toiture de la nef à plus d’une quarantaine de mètres de hauteur. Nous prenons ici conscience des milliers de mètres carrés de cuivre (près de 5000!) qui recouvrent le bâtiment. En jetant un coup d’œil vers le bas, c’est une forêt de pinacles que nous découvrons, hérissant les arcs-boutants et les toitures de la chapelle Sainte-Catherine. Edifiée au début du XVe siècle par l’évêque Berthold de Bucheck, elle a été conçue comme un véritable écrin et, vue du ciel, elle a plus que jamais l’allure de petit bijou gothique.

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Combles de la Cathédrale avec au premier plan, un ancien treuil à main

En longeant les toitures vers l’ouest, nos guides nous ouvrent une porte donnant sur les combles. Étonnement humble, cet espace nous fait d’avantage penser à la soupente de quelque grange de village. Les poutres de pin, ont depuis bien longtemps déjà, remplacé la charpente originale. Ça et là, entre les poutres soutenant un plancher brut, on distingue dans la pénombre les courbes successives des voûtes de la nef. Au centre de l’espace se trouve un treuil à bras, et son homologue électrique passant presque inaperçu, rivé à l’une des poutres. Gardiennes des lieux, deux sphinges viennent agrémenter les combles de leur silhouette inattendue et totalement incongrue. Il s’agit de deux statues en plâtre datant du début du XXe siècle. C’est une étrange sensation, que celle de découvrir un envers si simple, à un superbe décor.

C’est alors que notre attention se tourne vers une porte en bois, recouverte de graffiti à la craie blanche « ne pas ouvrir la porte, danger de mort – Absturzgefahr – Nicht öffnen, gefährlich ». Tous ces avertissements, écrits en plusieurs langues, ne suffisent pas à entamer notre curiosité. Par les interstices des planches, nous la distinguons à peine, mais c’est bien elle : la grande rose ! Puis, c’est une émotion intense qui submerge le groupe lorsque nos guides, amusés par notre impatience, finissent par ouvrir la porte. C’est une explosion de couleurs, un feu d’artifice, un face-à-face avec le grand œil de la Cathédrale. Nous l’avions vue mille fois, depuis la nef, mais plus que jamais nous goûtons la perfection de son dessin gracile, la profondeur des couleurs jaune, verte, bleue et rouge de ses vitraux. L’observation d’un tel chef d’œuvre, depuis un point de vue si privilégié, nous permet de mieux comprendre l’émotion des fidèles du Moyen-Age, pénétrant dans un espace baigné par cette lumière, métaphore de la lumière de Dieu. Pour garder une trace de cet instant, chaque membre du groupe, faisant fi des 44m de vide surplombant le sol du narthex, s’est fait photographier devant ce grand vitrail du début du XIVe s., véritable star du jour.

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Vue imprenable sur la grande rose

Encore éblouis par la lumière de la rose, nous quittons les combles, pour rejoindre un élégant escalier à vis qui nous conduit jusqu’à la base du beffroi et sa grande baie. En nous tournant vers l’Est, la grande croix verte de la bâtisse s’offre à notre vue. C’est à ce moment que nos guides nous invitent à faire le tour du massif occidental par une étroite coursive, aux garde-corps ajourés, surplombant le vide ; le tout sous les yeux des touristes n’ayant pas eu notre chance, et se contentant du circuit « traditionnel ». C’est une joie indescriptible que de découvrir la façade de la Cathédrale sous cet angle inhabituel. Les perspectives sont absolument vertigineuses, tant les innombrables et fines nervures de grès les exagèrent. Et, pour nous accompagner, c’est tout un peuple de gargouilles, qui impassiblement salue notre passage. Puis, à nouveau, c’est une grande émotion de découvrir la galerie des Apôtres, la rose, et le portait central que nous surplombons au pied du beffroi. Nous faisons face aux anges musiciens, qui louent la gloire du Christ Bénissant, et nous nous attendrions presque à voir ces figures de pierre agiter leurs fines ailes de cuivre repoussé, tant leurs expressions semblent vraies.

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Vue plongeante sur le portail Nord du massif occidental

Revenus à l’arrière du beffroi, après ce vertigineux parcours, nous nous dirigeons vers la plate-forme, toujours grâce à un escalier à vis. Une petite averse nous accueille à 66 m de hauteur, mais les cieux semblaient de notre coté, car à peine avions-nous traversé la plate-forme, que déjà les gouttes se faisaient rares.

Pénétrant dans la base de la haute tour, nous empruntons la porte située sur la droite, habituellement inaccessible. Nous débouchons sous un auvent renaissance en grès, qui nous abrite des dernières gouttes, avant de rejoindre l’une des quatre « Schnecke », ces tourelles d’escalier qui ponctuent l’octogone de la tour. Devant la porte de cette tourelle nous découvrons, amusés, une plaque émaillée qui rappelait aux ouvriers d’antan, une règle sanitaire élémentaire. Puis nous prenons de la hauteur en empruntant les marches : elle sont désormais plus basses et plus étroites que celles que nous avions gravies jusqu’à présent. La tourelle, ajourée, nous offre une vue imprenable sur les toits de la ville et le noyau creux de la grande tour. Elle laisse aussi passer le vent, ce qui ajoute beaucoup de caractère à l’ascension. Et nous y arrivons enfin : le petit étage de la haute tour !

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Vue plongeante sur la place depuis le petit étage de la haute tour

Situé à 90m de hauteur,  cet étage fut achevé en 1419. Il s’agit d’un étage annulaire octogonal, ouvrant en son centre sur l’intérieur de la tour, et vers l’extérieur sur la ville. La voûte à festons qui coiffe la tour à ce niveau est une véritable merveille. Tout autour, marquant chaque tourelle d’escalier, nous rencontrons les effigies de la Vierge à l’Enfant, des saintes Barbe et Catherine, de prophètes, d’un ours enchaîné, etc, les yeux levés vers le ciel, nous rappelant que 52 mètres nous éloignent encore du sommet de la flèche.

C’est ainsi que s’est achevée notre visite insolite de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. En redescendant d’une seule traite les 90 mètres, on pouvait se demander si l’on devait ce léger étourdissement à la spirale des escaliers, ou bien à ce trop plein de beauté et d’émotions qui auront marqué les 2h30 d’une visite unique… et presque trop courte !

La Cathédrale de Strasbourg et les Vosges du Nord

Le lecteur s’étonne peut-être que notre site s’attarde si longuement sur la Cathédrale de Strasbourg, qui sort manifestement de notre champ géographique. Pourtant, il existe des liens multiples avec nos sujets d’intérêt.

Tout d’abord, on peut rappeler qu’au Moyen-Age, le chantier de la cathédrale a servi de modèle à nombre de réalisations dans le Nord de l’Alsace.

De même, les ouvriers de la Cathédrale de Strasbourg, ont été sollicités pour d’autres chantiers, tel que celui du château de Wasenbourg, situé à Niederbronn, comme en témoignent les marques des tâcherons.

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Exemple de marque de tâcheron visible sur la Cathédrale

Par ailleurs, une tradition locale prétend que le verre de la grande rose de la Cathédrale proviendrait de la verrerie de Schoenbourg (Bas-Rhin). Même si cette tradition semble séduisante, elle ne concorde pas avec les traces de production verrière à Schoenbourg, qui sont largement postérieures à la réalisation de la grande rose.

Enfin, de nos jours, le destin de la Cathédrale de Strasbourg est étroitement lié aux ressources des Vosges du Nord. En effet, les gisements historiques, notamment de Wasselone, n’étant plus exploitables, il aura fallu trouver la pierre la plus proche du grès d’origine. Et c’est ainsi que le grès employé actuellement pour la restauration de l’édifice provient en grande partie de la région de la Petite-Pierre, ainsi que des carrières de Rothbach.

Encore un grand merci à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame pour l’organisation de ces visites !

Pour en savoir plus :

www.oeuvre-notre-dame.org

www.musees.strasbourg.eu

www.cathedrale-strasbourg.fr

Un commentaire :

  1. Ping : Visite de chantier de la plateforme de la cathédrale et de la maison des gardiens réhabilitées, 12 juillet 2019 – Le Blog des Amis de la Cathédrale de Strasbourg

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