Johann-Ludwig et Anne-Elisabeth de Hanau Lichtenberg, deux enfants dans la tourmente de la Guerre de Trente Ans

Eglise luthérienne de Bouxwiller

L’église luthérienne de Bouxwiller est l’un de ces lieux, que l’on ne peut pénétrer sans être saisi par le vent de l’Histoire. L’édifice dont l’origine remonte au XIVe siècle, fut agrandi en 1614 et remanié au XVIIIe siècle. Il porte encore tous les ornements d’un demi-millénaire de son passé féodal. Et on ne serait pas étonné de voir encore sous le magistral orgue Silbermann, la silhouette d’un comte ou d’une comtesse de Hanau-Lichtenberg, ondoyant derrière les vitres anciennes de la loge seigneuriale. Toutefois, c’est au-delà de cette loge, que le souvenir de Hanau-Lichtenberg se fait le plus vibrant. Il s’agit de la plus ancienne partie de l’église, abritant de magnifiques dalles funéraires, notamment de la famille comtale. Miraculeusement épargnées des affres de la Révolution Française, elles possèdent une valeur patrimoniale inestimable. Dans cet ensemble on retrouve les dalles – ô combien émouvantes – de deux très jeunes enfants de la famille de Hanau-Lichtenberg, tous deux décédés en 1622, en cette sinistre période de la Guerre de Trente Ans.

 

Teston de Johann Reinhard de Hanau-Lichtenberg – 1609

Une perte dynastique pour la famille comtale

Les monuments funéraires nous présentent deux enfants en bas-âge, Johann-Ludwig âgé de deux ans seulement, et d’Anne-Elisabeth, morte le jour même de sa naissance. L’année 1622 a donc été particulièrement éprouvante pour la famille Hanau-Lichtenberg. Il s’agissait en effet des petits enfants du comte Johann-Reinhard, issus de son fils aîné Philippe-Wolfgang et de son épouse Johanna d’Öttingen. Ces enfants, et tout particulièrement le petit Johann-Ludwig, incarnaient donc l’avenir de la lignée de la famille seigneuriale. La perte dut paraître d’autant plus terrible que le couple se retrouva alors sans postérité. Il fallut attendre le 4 août de l’année suivante pour que naisse un nouveau fils, Frédéric-Casimir, qui réunirait brièvement par son mariage avec Sibylle-Christine von Anhalt-Dessau les seigneuries de Hanau-Lichtenberg et Hanau-Münzenberg. Frédéric-Casimir ne restera pas le seul enfant de ce couple, qui donnerait encore naissance à 7 autres enfants après lui.

Les monuments funéraires

Les deux monuments funéraires en grès gris se placent dans la lignée directe des plates-tombes du Moyen Age, destinées à être intégrées au dallage de l’église. Les dalles de Bouxwiller ont été exécutées avec le plus grand soin et : elles semblent être l’œuvre du même ciseau et ont été réalisées par un sculpteur particulièrement habile. Celle de Johann-Ludwig présente un traitement en bas-relief d’une finesse rare, s’inspirant sans doute de compositions gravées. A l’inverse c’est en haut-relief que se développe la sculpture du monument d’Anne-Elisabeth. Du reste, on peut supposer que les reliefs furent jadis rehaussés d’une vive polychromie.

 

On note que la pierre tombale de la petite fille est dans un état de conservation remarquable à l’exception de quelques usures et infimes éclats. A l’inverse, celle de son frère aîné présente de nombreuses épaufrures rendant difficile la lecture des motifs et du bandeau. Elles se composent toutes deux de la même manière. Ainsi on retrouve un bandeau, déclinant tout autour des dalles, l’identité du défunt, ses titres, et le jour de son décès :

Dalle de Johann-Ludwig :

[Anno] [16]22 den 30 Ianuar starb [der] [hochw]ol geborene Herr Herr Iohann Ludwig Graffe z[u] […] [he]rr zu Liechtenberg seines alte[rs] im I. Iahr dem Gott gned[ig] [s]ein Welen A[men]

En l’an 1622, le 30 janvier mourut l’honorable seigneur Johann-Ludwig, comte de […] et seigneur de Lichtenberg à l’âge d’un an, par la volonté de Dieu miséricordieux, Amen.

Dalle d’Anne-Elisabeth :

Anno 1622 den 19 Mai starb die Hochwol geborene Anna Elisabetha Gravin und Fraeulein zu Hanaw Liechtenberg ihres Alters am I. Tage deren Gott Gnade Amen

En l’an 1622, le 19 mai mourût l’honorable Anne Elisabeth, comtesse et demoiselle de Hanau-Lichtenberg, à l’âge de son premier jour, par la Grâce de Dieu, Amen

Effigie emmaillotée d’Anne-Elisabeth de Hanau-Lichtenberg

Le centre des plaques est quant à lui profondément creusé, laissant apparaître en relief l’effigie du défunt, flanquée aux quatre coins par les armoiries familiales.

La représentation funéraire de ces enfants est particulièrement intéressante. Le petit Johann-Ludiwg est représenté en pied, ses mains gantées sont posées l’une sur l’autre sur le ventre. Le visage aux yeux clos est inexpressif. Il est entouré par un fin et élégant bonnet de dentelle. On retrouve également une abondance de dentelles au niveau du large col et du tablier, qui retombe jusqu’à ses pieds, chaussés de petits souliers. La surenchère de fioritures dénote le rang élevé de l’enfant et suggère l’importance dynastique qu’il aurait dû incarner. Comme il est d’usage au XVIIe siècle, le petit garçon est vêtu d’une longue robe, facilitant le changement de ses langes.

La représentation d’Anne-Elisabeth est tout autre. Il s’agit là du monument d’un enfant âgé d’un jour, fermement emmailloté. Aucun élément ne vient parer le nouveau-né, mais son visage emprunt de noblesse suffit à exprimer le rang auquel il appartient. Il est singulier de noter que le petit visage à l’ovale parfait présente, sous une bouche bien dessinée, une petite fossette sur le menton.

A n’en pas douter, ces deux représentations sont des figures idéalisées et éventuellement standardisées. Il ne s’agit très certainement pas de portraits à proprement parler, mais il faut relever une certaine individualisation des traits, qui marquent la volonté de fixer pour l’éternité le visage des défunts. Toutefois, si ces effigies ont tendance à émouvoir le visiteur moderne, elles avaient en réalité pour but d’édifier le spectateur. En effet, la sérénité qui émane de ces deux représentations était une expression éclatante de l’entière soumission de la famille de Hanau-Lichtenberg à la volonté de Dieu.

Armoiries de Hanau-Lichtenberg – dalle funéraire d’Anne-Elisabeth de Hanau-Lichtenberg

1622, une année noire pour le comté de Hanau-Lichtenberg

Les dalles funéraires ne nous renseignent en rien sur l’origine de la mort des deux enfants. Il est évident que l’état des connaissances médicales du XVIIe siècle ne permettait pas de savoir précisément les raisons d’un décès. Toutefois, cette question n’était pas au centre des préoccupations, puisque la maladie et la mort n’exprimaient, aux yeux de tous, que la volonté divine. Une fois la mort survenue, seul comptait alors le Salut de l’âme.

Il est toutefois possible d’émettre aujourd’hui des hypothèses concernant les circonstances de la mort de ces deux enfants, en analysant le contexte historique. En effet, les troubles de la Guerre de Trente Ans doivent être pris en considération. Si le comté de Hanau-Lichtenberg se trouvait aux limites des influences franco-germaniques, le comte Johann-Reinhard dut se résoudre à payer une rançon de 100 000 florins au comte Mansfeld pour que soient épargnées ses terres. Toutefois, en 1620-1622, les troupes impériales envahirent Bouxwiller. Les populations commencèrent à fuir et la peste finit de décimer les habitants de la ville.

Ainsi, peut-on imputer la mort des ces deux enfants au contexte difficile de l’année 1622 ? Peut-être que le petit Johann-Ludwig est mort de la peste ! Peut-être les conditions de la naissance de la petite Anne-Elisabeth n’étaient-elles pas optimales, en raison des troubles qui agitaient le comté ! Il faut cependant rappeler que la mortalité infantile était particulièrement élevée, et ce, quel que soit le contexte politique d’un territoire. En effet, on estime que près de 30 % des enfants mouraient avant l’âge d’un an, et que près de 50 % n’atteignaient pas l’âge de la puberté.

Dalle funéraire de Johann-Ludwg de Hanau-Lichtenberg – Détail

La mort d’un enfant au XVIIe siècle

Armoiries de Hanau-Lichtenberg ornant la loge seigneuriale

Si de nos jours la mort d’un enfant apparaît comme l’injustice suprême, elle était malheureusement au XVIIe siècle une chose tout à fait courante et acceptée. Un nombre important d’enfants était donc pour une famille une garantie d’avoir au moins un héritier. Il n’est par conséquent pas étonnant que Philippe-Wolfgang ait eu, au total, 10 enfants dont 5 n’atteignirent pas l’âge adulte.

Les morts successives de Johann-Ludwig et d’Anne-Elisabeth n’ont donc sans doute pas surpris le couple. On suppose même que la considération de l’enfant fut très différente en ces temps, de ce qu’elle est aujourd’hui. Ils n’étaient pas le centre de toutes les attentions, et dans le cas de familles nobles, étaient confiés à des nourrices. L’attachement des parents à leurs enfants n’étaient donc sans doute pas de même nature qu’aujourd’hui. Toutefois, on ne peut décemment pas penser que la mort de ces deux enfants aient laissé la famille indifférente.

En effet, du simple point de vue dynastique, ils incarnaient une continuité. Leur perte n’a donc pas manqué de briser temporairement les espoirs de la famille de Hanau-Lichtenberg. Au-delà de ces raisons très prosaïques, les monuments témoignent de l’attachement sincères de la famille à ces petits enfants. Tout d’abord, ils sont les seuls dont on a représenté l’effigie. Les autres tombes de l’église ne présentent; en effet; que les armoiries du défunt. De même, la qualité de la sculpture, au-delà du prestige qu’elle exprime, témoigne d’une volonté d’honorer dignement la mémoire de ces deux enfants. Enfin, la petite fossette du visage d’Anne-Elisabeth prouve qu’on a cherché à individualiser les visages des enfants, pour les faire échapper à l’oubli de l’Histoire. Enfin, en leur offrant une sépulture digne dans l’église luthérienne, la famille leur a assuré le Salut éternel, seul véritable réconfort d’une famille endeuillée. Ainsi, ces deux dalles funéraires expriment encore aujourd’hui toute l’affection, que des parents du XVIIe siècle pouvaient avoir à l’égard de leurs enfants.

Détail de la chaire à prêcher de l’église luthérienne de Bouxwiller – XVIe-XVIIe siècle

Des monuments émouvants

Face à de telles dalles de grès, le spectateur ne peut rester insensible et si elles n’avaient pas un caractère funéraire, ces figures auraient quelque chose d’adorable. A force de se replonger dans l’histoire de ces enfants, en observant leurs petits visages aux yeux clos, on en finirait presque par les croire tout juste endormis. Et quelle plus belle manière de les faire revivre, que de continuer à parler, au XXIe siècle, de Johann-Ludwig et d’Agnès-Elisabeth de Hanau-Lichtenberg.

Pour l’histoire de la seigneurie de Hanau Lichtenberg voir également :

Vestiges de l’enceinte de Bouxwiller

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